Plaidoyer pour les chenilles

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Larves hideuses et repoussantes, dangereuses urticantes ou gloutonnes défoliatrices du potager et du verger… Ainsi sont souvent durement jugées les chenilles qui importunent plus qu’elles n’intriguent. Il suffit pourtant de dépasser ces préjugés pour s’apercevoir qu’elles sont une incroyable source d’émerveillement et de diversité !

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Une aversion générale

Pourquoi donc faire les choses à moitié ? – © USDA Forest Service

Alors que les papillons, élégants et colorés, suscitent l’admiration des petits et des grands, il n’en est pas vraiment de même pour leur progéniture. Ainsi les chenilles, mal-aimées des jardiniers, ne sont pas les dernières à souffrir de la lutte acharnée contre les « ravageurs des cultures » : biocides, granules en tous genres ou même épandages aériens contre les redoutables processionnaires du chêne et du pin, qui chaque année défrayent la chronique.

Tous les moyens sont bons pour enrayer la pullulation de ces indésirables, malgré les conséquences néfastes que cela implique pour l’environnement et la biodiversité. Bien qu’aujourd’hui l’armement apparaisse davantage « biologique » que chimique avec l’usage prépondérant du BTk (Bacillus thuringiensis ssp kurstaki), le combat contre les chenilles n’en est pas moins obstiné dans les champs (y compris en agriculture biologique) ou même en ville sur les balcons…

La peste du XXIe siècle ?

Profitant du réchauffement climatique, depuis quelques années les chenilles processionnaires gagnent du terrain en métropole, affolant la plume des journalistes et excédant les citoyens et les autorités jusqu’à la limite du supportable (voir la publication de France 3 Grand-Est en mai 2020).

Et s’il ne faut pas négliger les risques qu’elles présentent pour les personnes sensibles et les animaux domestiques (voir les symptômes d’intoxication et les méthodes de prévention), n’oublions pas que leur présence peut s’avérer indispensable à de nombreuses espèces prédatrices ou commensales, et que leur prolifération excessive dénote avant tout un déséquilibre biologique (appauvrissement des milieux et manque de prédation dus aux monocultures sylvicoles ou à l’usage de produits phytosanitaires, etc.).

Aussi existe-t-il divers moyens de lutte mécaniques et non-invasifs, accessibles aux particuliers en cas de véritable entrave à la vie quotidienne (exemple des éco-pièges du Parc national des Calanques, disponibles dans le commerce).

 

Changer de regard

Oui, cette chenille de Paon du jour est magnifique ! – © quartl

Mais que nous ont-elles fait pour mériter pareil traitement ? Il fallait bien se garder d’avoir l’audace de s’attaquer à nos plantes chéries… Cependant les chenilles n’ont pas choisi. Telle est leur condition, et il serait dommage qu’il en soit autrement car, contre toute attente, ces dernières jouent un rôle essentiel à l’équilibre de l’environnement, aussi bien en tant que ressources alimentaires que comme régulateurs des peuplements végétaux.

Et si pour beaucoup elles n’ont pas l’attrait de nos fiers papillons, c’est en elles que réside l’avenir de ces pollinisateurs, de plus en plus menacés d’extinction. Une réalité dont il serait bon de faire prendre conscience à tout un chacun, notamment les plus jeunes d’entre nous qui peuvent être facilement effrayés ou rebutés à la vue de ces drôles de larves au corps mou (ou par les arthropodes en général).

Pourtant il suffit parfois d’y regarder d’un peu plus près pour s’apercevoir que les chenilles sont réellement dotées de caractéristiques et de facultés étonnantes. Une immersion dans le monde secret de ces petits êtres ne manquera pas de vous surprendre !

 

Un monde haut en couleurs !

Dans l’imaginaire commun, les chenilles évoquent souvent de petites masses informes et relativement ternes (vertes ou brunes) ou pourvues d’une pilosité peu engageante, à l’image des clichés récurrents que l’on nous offre d’elles.

En effet les chenilles, généralement peu connues (hormis des contemplateurs ou des intéressés), font rarement écho dans la presse grand public, si ce n’est en cas de pullulation des espèces urticantes ou pour détailler l’application de méthodes de lutte et de prévention à l’usage des jardiniers. Ainsi, il apparaît exceptionnel qu’il soit fait état de leur existence intrinsèque, pour ne pas dire de leur beauté.

Ce qui est fort dommage, tant ces dernières font preuve d’une incroyable et foisonnante diversité. Citons la jolie parure zébrée de la chenille du machaon, avec son étrange osmeterium, l’étonnante chevelure jaune vif de la noctuelle de l’érable ou l’allure atypique de la chenille du Jason, véritable petit dragon cornu. Sans parler des spécimens exotiques qui tendent à se prendre pour des vipères ou même de somptueuses sculptures de verre… L’expression de ce dédale de couleurs et de formes nous plonge dans un univers psychédélique !

Quelques remarquables chenilles de nos contrées

  • Chenille de la grande queue-fourchue (Cerura vinula)

    Chenille de la grande queue-fourchue (Cerura vinula) – © Lukas Jonaitis

    Bien qu’assez répandue, cette drôle de chenille à la « queue fourchue » n’est pas toujours aisée à observer car elle vit en hauteur, perchée dans les branches de saules ou de peupliers, ses plantes hôtes préférées. Lorsqu’elle se sent menacée, elle dresse sa fourche caudale et rentre sa tête pour accentuer l’impressionnant anneau rouge de son thorax, par lequel elle peut excréter un liquide caustique. L’agresseur n’a qu’à bien se tenir !

  • Chenille du Machaon (Papilio machaon)

    Chenille du Machaon (Papilio machaon) – © Ivar Leidus

    Cette belle chenille colorée est la progéniture d’un papillon tout aussi remarquable, le célèbre machaon. Relativement commune, celle-ci vit sur différentes plantes de la famille des Apiacées, avec une préférence pour le fenouil et la carotte sauvage. Si vous la dérangez, elle n’hésitera pas à vous le faire savoir en faisant apparaître un petit organe orange bifide, sans danger mais à l’odeur désagréable : l’osmeterium.

  • Chenille du Jason (Charaxes jasius)

    Chenille du Jason (Charaxes jasius) – © Ferran Pestaña

    Tout droit sortie d’un film de science-fiction, les quatre « cornes » qu’elle porte sur la tête, donnent à cette petite chenille l’allure d’un dragon ! Cette espèce méditerranéenne (de plus en plus présente sur la côte Atlantique), se rencontre exclusivement sur les arbousiers, ce qui vaut parfois à l’adulte le surnom de « Nymphale de l’Arbousier ». Ce magnifique papillon de jour à la livrée bigarrée est l’un des plus beaux représentants du genre en Europe.

     

Un monde plein d’astuces !

La chenille de la goutte de sang (Tyria jacobae) se nourrit des feuilles du séneçon jacobée, riche en alacaloïdes toxiques. Sa livrée jaune vif est une mise en garde pour les prédateurs – © Morgane Peyrot

L’apparence si variée des chenilles peut être en partie expliquée par le fait que ces dernières sont exposées à une multitude de dangers. Oiseaux, mouches ou guêpes parasites sont autant de prédateurs auxquels il faut faire face. À ce titre, tous les moyens sont bons pour passer inaperçu ou au contraire impressionner. Dans la nature, les teintes vives telles que le rouge ou le jaune sont fréquemment assimilées au danger.

Les chenilles très colorées sont ainsi protégées par cette parure « aposématique », dissuasive pour les prédateurs et parfois annonciatrice d’une réelle toxicité. Car les chenilles ne sont pas les dernières à user d’armes chimiques. Nombre d’entre elles ont une propension – presque inquiétante  ! – à se nourrir de plantes extrêmement toxiques. (Euphorbes, Solanacées, etc.). Chose qui, contre toute attente, ne leur fait ni chaud ni froid !

Loin d’être kamikazes, ces chenilles rusées savent parfaitement tirer profit des molécules toxiques contenues dans ces végétaux. Non seulement elles sont dotées d’une incroyable batterie enzymatique qui neutralise les effets délétères de ces substances. Mais elles sont aussi capables de les métaboliser ou de les stocker, afin d’en faire usage en tant que phéromone ou comme moyen de défense. C’est le cas de la chenille du papillon monarque d’Amérique qui se nourrit sur les Asclépiades. Elle en intègre ainsi les dangereux alcaloïdes, qui la rendent impropre à la consommation. De plus, la protection ainsi obtenue se transmet à l’adulte.

Dans une moindre mesure d’autres chenilles, à l’instar des Piérides, se chargent de composés volatils comme les glucosinolates des Brassicacées (moutarde, choux, cresson, etc.). Si ces derniers intoxiquent rarement les prédateurs, ils ont le mérite de donner à la chenille un goût désagréable.

Le saviez-vous ? Des abris de fortune

L’étonnant spectacle d’une chenille de Psychidés s’extirpant de son fourreau végétal sur un Orchis pyramidal (O. pyramidalis) – ©Morgane Peyrot

Les chenilles ont développé des facultés originales et surprenantes pour faire face aux prédateurs, mais aussi pour se prémunir des aléas climatiques, notamment du froid hivernal. Certaines espèces dites « myrmécophiles », se font ainsi passer pour des fourmis en imitant les phéromones d’une jeune reine. Recueillies par les ouvrières celles-ci seront bien à l’abri dans la fourmilière et dorlotées durant tout l’hiver.

D’autres chenilles astucieuses se parent d’un étonnant fourreau végétal en copeaux de bois, feuilles mortes ou brindilles, qu’elles assemblent et enroulent autour d’elles grâce à leur soie. La construction de cet « hibernaculum », qui fera office de protection jusqu’au printemps, n’est pas sans rappeler les manières du Bernard l’Hermite. À la différence que les chenilles, moins paresseuses, érigent elles-mêmes leur abri !

 

Un atout pour l’environnement et les sociétés humaines

Et pourquoi pas passer aux entomoprotéines ? – ©T.K. Naliaka

Dans la nature, les chenilles remplissent diverses fonctions essentielles à l’équilibre des écosystèmes. Dans les massifs forestiers par exemple, les dégâts occasionnés au feuillage des arbres permet à la lumière de mieux pénétrer. Cela facilite le processus de photosynthèse et favorise la diversité des essences, en permettant aux jeunes arbres dominés par la canopée de se développer.

De manière générale, les chenilles (comme nombre d’insectes phytophages), régulent la croissance des végétaux et limitent ainsi la compétition entre différentes espèces. Elles constituent également une ressource alimentaire de choix pour de nombreux animaux tels que les oiseaux. Même les terribles chenilles processionnaires font le bonheur du geai, du coucou et surtout des mésanges qui en raffolent et n’hésitent pas à vider leur nid en hiver. Elles nourrissent aussi quelques amphibiens, de petits mammifères comme les hérissons, de nombreux insectes et… des hommes. Loin d’être dédaignées dans les pays tropicaux, les larves d’insectes et en particulier les chenilles, sont une ressource précieuse pour beaucoup de peuplades entomophages.

Leur qualité nutritionnelle (richesse en lipides et en protéines) aide à lutter contre la malnutrition, tandis que leur collecte et leur revente se révèlent dans certains cas indispensables à l’activité économique locale. Ainsi, plus de 40 espèces de chenilles sont traditionnellement consommées rien que dans les régions d’Afrique centrale !

De plus leurs déjections, riches en minéraux, sont reconnues pour leur action fertilisante et utilisées à ces fins en culture dans quelques régions d’Afrique de l’Ouest, notamment au Burkina Faso. Malheureusement la raréfaction des chenilles due à la déforestation ou encore l’agriculture intensive, menace de plus en plus la sécurité alimentaire des peuples entomophages…

 

Mieux vaut prévenir que guérir

Les chenilles ont aussi leurs ennemis naturels – ©MabelAmber

S’il faut bien avouer qu’il est parfois inquiétant de voir proliférer des chenilles au potager ou au verger, la plupart d’entre elles sont sans danger et ne risquent pas de provoquer directement la mort d’une plante ou d’un arbre, même lorsque les dégâts semblent importants. La présence de chenilles est rarement la cause d’une baisse notable de production, et il n’y a pas lieu de s’alarmer dès l’apparition de la moindre petite étrangère. Aussi, peu d’espèces s’attaquent aux cultures en comparaison de celles qui dévorent les plantes sauvages ou soi-disant « mauvaises herbes ».

Leur présence peut donc aider le jardinier à contrôler les adventices, en évitant par exemple qu’elles ne se ressèment (dans le cas des espèces dévoreuses de graines). En définitive, au jardin comme dans la nature, tout est question d’équilibre. Ainsi, plutôt que de chercher à lutter contre les chenilles, faites en sorte de favoriser la biodiversité environnante, afin que leurs prédateurs naturels puissent s’en nourrir et limiter leur prolifération. Comme indiqué précédemment, de nombreux animaux s’en nourrissent, mais ils ne fréquenteront votre jardin que si les lieux sont accueillants.

Laisser faire la nature

Limitez la tonte et réservez quelques parcelles pour laisser pousser l’herbe et les fleurs autochtones. Ces « cachettes » végétales, favoriseront la présence d’insectes carnassiers ou parasites des chenilles, mais aussi des pollinisateurs, qui ne manqueront pas de visiter votre potager ou votre verger. Vous pourriez également choisir d’installer une prairie fleurie ou une haie, profitable aux petits mammifères et aux oiseaux. En plus de faire une bonne action pour la biodiversité, vous profiterez des bienfaits que cette faune nouvelle peut apporter à vos cultures, tout en gardant plaisir à admirer le vol de ces jolies chenilles métamorphosées !

 

Pour conclure

Nous avons tendance à être plein d’à priori envers ces petits êtres aux allures insignifiantes ou même repoussantes. Cependant, n’oublions pas que les chenilles jouent (comme tout un chacun), un rôle indispensable à l’équilibre des écosystèmes naturels et des sociétés humaines. Tentons d’agir avec discernement et respect à leur égard, en portant sur elles un regard emprunt de Nature et non d’anthropomorphisme…

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