Aurore et cardamine, une histoire et plante et d’insecte

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Quoi de plus naturel qu’une petite chenille d’aurore dévorant le feuillage d’une cardamine ? Observant la scène, nul ne pourrait se douter que se déroule sous ses yeux une véritable guerre chimique entre l’insecte et son hôte !

papillon aurore et plante cardamine
L’aurore (Anthocaris cardamine) en train de butiner sa plante-hôte

 

Aurore et cardamine…

Contre-attaquer ou… être mangé ! Il en va du sort des végétaux qui de tous temps doivent faire face aux attaques de multiples agresseurs, en particulier les insectes. En conséquence, la plupart ont développé un arsenal de défense sophistiqué qui leur est propre. C’est le cas de la cardamine des prés (Cardamine pratensis) et plus généralement de toutes ses cousines de la famille des Brassicacées (choux, moutardes, wasabi, etc.). Ces dernières détiennent une redoutable arme de répulsion anti-insectes, que les scientifiques nomment « mustard oil bomb ». Nous en faisons nous même l’expérience chaque fois que nous consommons l’une de ces plantes. Notre palais est alors emporté par une caractéristique saveur soufrée et parfois bien piquante ! Si nous en profitons allègrement, celle-ci n’est pas vraiment faite pour ravir nos papilles, mais plutôt pour éloigner les mangeurs de feuilles.

La plupart d’entre eux sont en effet sensibles à ces molécules, qui se révèlent agressives pour leur organisme. Par ailleurs, malgré notre taille bien supérieure, elles sont tout à fait susceptibles de nous jouer des tours… Car, si nous connaissons les vertus médicinales des graines de moutarde, un abus ou un usage malencontreux peut par exemple entrainer de douloureuses irritations digestives ou cutanées ! Les Brassicacées semblent disposer là d’une défense imparable. Pourtant, ces dernières ne sont pas épargnées par la voracité des insectes, en particulier celle des chenilles de Piérides, bien connues des jardiniers. La cardamine des prés, entre autre, constitue le garde-manger privilégié de la progéniture de l’aurore (Anthocharis cardamine). A travers cet exemple, nous découvrirons en quoi consiste l’armement spécifique de ces plantes et la parade des chenilles pour y échapper !

 

Une bombe à retardement

La cardamine des prés est une plante vivace commune de nos régions, qui se développe principalement dans les milieux frais et humides (berges des étangs ou des ruisseaux, allées forestières, certaines prairies, etc.). Elle se présente au début du printemps sous la forme d’une rosette de petites feuilles composées de 6 à 12 folioles toutes arrondies. Sa floraison précoce intervient dès le mois d’avril. Ses délicates fleurs roses, constituées de 4 pétales disposés en croix, sont rassemblées en grappe au sommet d’une tige dressée, qui peut atteindre 50 cm. Ses fruits sont de courtes siliques qui apparaissent à partir du mois de juin. Elles éclatent lorsqu’elles arrivent à maturité, dispersant ainsi les nombreuses graines.

Fleurs de cardamine des prés
Fleurs de la cardamine des prés (Cardamine pratensis).

 

La plante ressemble fort à sa cousine, la cardamine hirsute (Cardamine hirsuta), très fréquente en milieu urbain, entre les pavés des ruelles. Cependant, cette dernière est bien plus petite, avec des fleurs blanches. Les feuilles de la cardamine fournissent d’excellentes salades sauvages, dont la saveur évoque celle du cresson (d’où le surnom parfois usité de « cressonnette »). Celles-ci sont riches en vitamines A et C, ainsi qu’en minéraux. Elles contiennent également des composés chimiques soufrés (nitriles, sinalbine, isothiocyanates, etc.), responsables de cette sensation de piquant et de chaleur en bouche. Si certaines de ces molécules reconnues excellentes pour la santé humaine, elles sont cependant redoutables pour de nombreux insectes. Contenues comme à l’état de « latence » dans les organes végétaux, ces dernières ne sont sécrétées qu’en cas de lésion des tissus, par exemple, lorsqu’un intrus vient à en grignoter tout ou partie… C’est alors que les chenilles entrent en scène !

 

L’assaillant assailli

Avec sa jolie parure, tout de vert marbrée, l’aurore est l’un de nos plus beaux papillons indigènes. Les imagos (adultes) émergent tôt au printemps, généralement dès la fin du mois de mars. Ce sont surtout les mâles que l’on remarque à leur grande tache orangé à l’extrémité des ailes. Les jolies chenilles de l’aurore, à la robe verte mimétique, se nourrissent essentiellement des inflorescences et des fruits de leur plante hôte. Ainsi la période de floraison de la cardamine convient parfaitement à ce papillon précoce, dont les femelles doivent pondre rapidement afin que leur progéniture puisse se sustenter de ses mets favoris. Lorsque les jeunes chenilles lancent l’assaut, elles enclenchent la « bombe » par la mise en contact de deux substances normalement compartimentées dans les vacuoles[1] des cellules végétales : les glucosinolates et les enzymes myrosinases. Cette réaction chimique provoque la libération des redoutables composés soufrés, en particulier les isothiocyanates et la sinigrine, très toxiques pour la majorité des insectes.

Mâle de l'aurore (Anthocaris cardamine)
Le mâle de l’aurore (Anthocaris cardamine) se distingue à ses taches orangé sur les ailes

D’autres molécules peu offensives comme les nitriles sont également sécrétées. La parade de ces chenilles astucieuses pour pouvoir grignoter en paix consiste à « prendre la main » sur la composition du mélange, en favorisant la sécrétion de substances non nocives. Cela se fait tout naturellement, car ces dernières possèdent dans leur salive une protéine particulière fabriquée au niveau du tube digestif, qui inhibe la production des molécules toxiques au profit des nitriles ! L’existence d’un tel mécanisme de détoxification, aussi complexe et sophistiqué pour de « simples » chenilles en apparence, témoigne d’un long procédé d’adaptation et du lien ancestral qui unit les insectes et leurs plantes-hôtes. Dans le prochain article, nous découvrirons d’autres merveilles de l’évolution avec les Orchidées et les abeilles sauvages !

 

Chacun son astuce !

Les chenilles de Piérides ne sont pas les seules à avoir jeté leur dévolu sur les Brassicacées. Celles de la teigne des crucifères (Plutella xylostella), minuscule papillon nocturne aux ailes brunes, sont particulièrement friandes des feuilles de choux ! Tout naturellement, elles se trouvent donc également confrontées à la menace de la bombe M. Cependant, ces dernières utilisent un mode de détoxification un peu différent, puisque l’enzyme qu’elles sécrètent est capable d’inhiber l’action des myrosinases sur les glucosinolates. En d’autres termes, les malines s’épargnent tout bonnement la formation des composés soufrés.

[1] Organite, formant comme un « réservoir » rempli d’eau et de molécules diverses, dans les cellules végétales.

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